Avion vs train : vers un bouleversement des modes de transports du business travel ?
Réchauffement climatique, Flygskam, coronavirus, comment adapter la politique voyage à la conjoncture ? Faut-il jeter l’avion avec l’eau du bain ? Comment concilier deux réalités : le nécessaire maintien de l’activité économique mondiale et le réchauffement climatique ? Si le débat est ouvert depuis déjà plus de deux décennies, le contexte actuel impose d’accélérer la prise de décision. La planète s’impatiente. Qui de l’avion ou du train ressortira vainqueur de cette réflexion menée autour des modes de transports du business travel ? La réponse semble évidente, mais les apparences sont parfois trompeuses. Faisons le point.
Flygskam” et Covid-19 : quand les mutations en matière de déplacements professionnels s’accélèrent
Le “Flygskam”, ce néologisme suédois qui est devenu le nom d’un véritable phénomène écologiste en Suède, traduit un sentiment de honte à l’idée de prendre l’avion, au regard des effets délétères que ce mode de déplacement a sur l’environnement. Dans cette logique de protection de la planète et alors qu’ils sont traditionnellement de grands voyageurs, les Suédois sont de plus en plus nombreux à délaisser l’avion pour le train. Greta Thunberg, militante écologiste que l’on ne présente plus, avait déjà choisi de se rendre en janvier 2019 de Stockholm à Davos en train, pour un trajet cinq fois plus long.
Bien plus impactante, la Covid-19 est à l’origine de 7,5 millions d’annulations et d’une baisse de 54 % des demandes. Les effets positifs de la pandémie sur l’environnement, de par l’arrêt de nombreuses usines et la réduction du nombre de déplacements, ont marqué les esprits. La Covid-19 n’a par conséquent fait que renforcer la tendance récente à vouloir repenser les modes de déplacements personnels et professionnels sur de longues distances. S’il est désormais ancré dans les esprits qu’une mobilité douce est essentielle en ville, revoir sa copie en matière de déplacements intra-continentaux n’est pas encore d’actualité pour toutes les entreprises. La Covid-19 a toutefois contraint les acheteurs et travel managers à trouver des alternatives aux déplacements, notamment avec la visioconférence. Nous verrons plus loin que cette solution de repli, si elle était salutaire durant le confinement, n’est peut-être pas nécessairement idéale sur le plan des émissions de CO2.
Le train, le mode de transport le plus sain pour la planète… à condition de le prendre
Il n’est désormais plus à démontrer que le train est sans conteste le mode de déplacement le plus sain pour l’environnement. Dans ce contexte de pandémie, l’État encourage d’autant plus les entreprises à se tourner vers le train pour leurs déplacements professionnels. En compensation des aides octroyées à Air France, l’État a par ailleurs demandé une “contrepartie environnementale” à la compagnie aérienne. Il s’agit de la fermeture de certaines lignes domestiques d’ici 2021, afin de favoriser les déplacements en train d’une durée inférieure à deux heures et demie, sur trajet équivalent, lorsque cela est possible.
Des voix s’élèvent toutefois contre cette décision, pointant du doigt les faibles bénéfices, sur le plan environnemental, en matière de réduction des émissions de CO2. La baisse estimée ne serait en effet que de l’ordre de 0,046 %. La saturation des lignes TGV et l’augmentation des tarifs sont par ailleurs à redouter, risquant de contraindre les voyageurs d’affaires à se tourner vers la voiture de location, bien plus polluante.
Les efforts des avionneurs sur le plan de la consommation d’énergie
Le phénomène Flygskam est-il fondé ou s’appuie-t-il sur une tendance à la culpabilisation pour tout ce qui relève de la sphère environnementale ? Si l’avion est incontestablement plus polluant que le train, est-il pour autant la cible à abattre ? Le chercheur Paul Chiambaretto estime que les émissions polluantes des avions sont deux fois moins importantes que celles d’Internet. Ce chercheur montpelliérain officie à la chaire Pégase, seule chaire française consacrée à l’économie du transport aérien et de l’aérospatial. Paul Chiambaretto vient de faire connaître les résultats d’une étude menée sur les impacts du transport aérien en matière d’environnement. Il indique que les déplacements en avion ne seraient responsables que de 2 à 3 % du total des émissions de CO2. À titre de comparaison, le secteur textile pollue près de quatre fois plus. Paul Chiambaretto indique en effet que 80 % des Français croient par conséquent à tort que l’avion est bien plus polluant que le secteur de l’habillement. Les idées reçues ont la vie dure. Les activités en lien avec Internet seraient quant à elles responsables de 4 à 5 % des émissions de CO2 mondiales, soit près du double de celles réalisées par le trafic aérien. Un déplacement en avion en France serait par conséquent parfois préférable à plusieurs heures de visioconférence.
Au cours des trente dernières années, le secteur aérien s’est astreint à réduire les émissions de CO2 liées au transport en avion. Ces efforts n’ont pas été vains puisqu’elles ont été réduites d’un quart par passager en une quinzaine d’années, nous apprend Paul Chiambaretto. Il est certes à noter que le trafic double tous les quinze ans. L’augmentation des émissions ne suit toutefois pas cette tendance et l’évolution se limite à 20-25 %. L’objectif à long terme serait que la croissance du transport aérien n’engendre plus aucune augmentation d’émissions de CO2. Les efforts des transporteurs aériens sur le plan environnemental sont à noter et méritent d’être mis en lumière, notamment en matière de dépense de carburant et ce depuis plus de dix ans. Les avionneurs travaillent à de nombreuses améliorations : moteurs moins gourmands, kérosène végétal, avions plus légers, etc.
Si les politiques voyages doivent continuer à prendre en compte la nécessité de privilégier les déplacements en train, il est certain que l’arbitrage entre le train et l’avion n’est pas toujours évident. L’importance du maintien des relations économiques avec l’étranger est évidente et le recours à la visioconférence est une solution qui n’est viable humainement ni écologique sur du long terme. Les déplacements professionnels doivent être pensés de façon raisonnée, dans le respect de la planète, mais sans culpabilité déraisonnable.